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LES NOCES DE CANA

L'Évangile selon saint Jean - 2:1-12

Selon Saint Jean, c’est à Cana, en Galilée, que s’accomplit le « commencement des signes » de Jésus ; comme lorsqu’il accrocha les luminaires au firmament, comme lorsqu’il déploya l’arc en ciel, de nouveau, Dieu nous fait signe. Signe d’Alliance. Et pour cela, Il choisit une noce de village ( l’usage parle « des noces » ).

En hébreu, le nom « Cana » renvoie à un verbe signifiant acquérir, acheter. (Le masculin « acquiert » ainsi sa femme, et le féminin « se laisse acquérir »). Dans cette bourgade pauvre, en contrebas, toute proche de Nazareth, on trouvait beaucoup de roseaux (le mot roseau à la même racine que Cana) et peut-être son nom vient simplement de là…

Mais « Cana » est aussi la branche maîtresse de la Menora. Voilà pourquoi sur le tissu tendu derrière les mariés on trouve ce motif central, qui rappelle une Menora (mais à cinq branches. Cinq étant lié au Souffle, à l’Esprit….) avec le motif du fruit de la vigne.

Bien sûr, c’est Jésus et sa mère qui sont le « couple véritable ». On ne parle de l'époux qu'une fois dans le texte (et pas du tout de l’épouse). J’ai beaucoup hésité à choisir quel couple mettre au centre le l’icône.

Et après moultes cogitations, décidément, c’est l’homme et la femme dont c’est le mariage !

Ce sont eux qui sont à l’honneur. Pour bien des gens, le mariage est la seule fois de leur vie ou ils sont à l’honneur, et il semble bien que cela « plaise à Dieu», puisque lui-même a choisi cette occasion pour ce premier signe (et en tradition juive, tout est déjà dans le commencement).

Le mariage est appelé par les chrétiens orientaux le « couronnement ». Car c’est à travers la vie conjugale que les mariés recevront l’un de l’autre la plénitude de leur vie, leur couronne. Couronne de gloire, de joie, mais aussi, (on ne craint pas de le dire), couronne du martyr, car c’est là qu’ils auront à être témoins, envers et contre tout, de l’amour inconditionnel.

Les deux mariés ne sont pas unis par leur auréole, comme Marie et Jésus le sont.

Peut-être ne peut accepter de « fusion » qu’avec Dieu lui-même. Car Seul Dieu se retire pour laisser la place à l’autre ; L’Agneau a été immolé avant même la création du monde. Chacun des mariés est donc uni à Jésus dans la vie éternelle. Pour l’instant, ils sont unis ensemble « au même joug » (c’est la formule qu’emploie Jésus au sujet du mariage), le Christ lui-même en étant le garant.

L’amour de Jésus et de Marie, tous deux étant intérieurement immolés, peut-être « fusionnel ».

Si nous lisons l’icône de gauche à droite, tout commence avec Marie qui dit à Jésus « ils n’ont pas de vin ». Elle est debout et montre le couple des mariés, mais aussi tous les convives : « Ils n’ont pas de vin ». C’est une constatation, elle anticipe l’humiliation qui en résultera pour les pauvres mariés.

J’aime beaucoup le texte de Françoise Dolto (L’évangile au risque de la psychanalyse, dont je joins des extraits) où elle montre comment Marie « enfante » le Christ à ce moment là, sachant entendre la dénégation de Jésus comme un ébranlement intérieur, et disant alors aux serviteurs « si jamais il vous dit de faire quelque chose faites le ! ».

Jésus, lui, est assis sur le « coussin royal » de la confiance en Dieu, Son Père. (Celui sur lequel il dormira pendant la tempête apaisée ?). C’est un rouge cramoisi, un rouge couleur du vin, signe de l’amour sacrificiel, (et on retrouve ce rouge autour des auréoles, et bordant la table. C’est la couleur caractéristique de la fête, avec l’or des couronnes). C’est le rouge des noces.

Jésus tient à la main un rouleau : celui des Ecritures, qu’Il est en train d’accomplir.

Les six jarres de pierre m’ont posé un vrai problème : des jarres en pierre, comment est-ce possible ? Des jarres (ou des cruches, le mot grec veut dire aussi cruche), en pierre ?

Eh bien non, ce n’est pas vraiment possible ! Des jarres, des cruches ne sont jamais en pierre. Il y a là une distorsion, une violence faite au langage. Il me semble que Jean veut attirer notre attention en utilisant un terme légèrement « décalé ». Et la phrase « Il y avait là six jarres de pierre pour la purification des juifs » est au centre du texte.

Les jarres sont là pour désigner « ce qui contient ». Ici ce qui reçoit l’eau, (image de la Tora dans la tradition juive) pour la purification.

Nous avons des « contenants » et ils sont de pierre. On pense bien sûr aux tables de la loi, (pour l’Alliance entre Dieu et les hommes), et à nos cœurs de pierre. Clairement, on est renvoyé à l’ancienne Alliance, et ici s’inaugure, en vis-à-vis, la Nouvelle. Six est le nombre de l’incomplétude. Mais avec la « jarre » (une vraie, celle là), de la femme Samaritaine, nous arriverons au nombre sept ! Ce n’est pas anodin.

Comment peindre des jarres de pierre ? J’ai opté pour un orifice « rectangulaire», qui montre que c’est « en pierre ».

« Ils n’ont pas de vin ». Il semble que tant qu’on vit, on en revienne à cela : un coeur de pierre. Alors la mère de Jésus est là. Elle dit une phrase aux serviteurs. Et Il leur dit : remplissez à ras bord. D’eau. Pour nous, de l’eau de tous les jours. Pour les juifs en suivant la Tora (Ce sont des jarres de purification : oui, l’Ancienne Alliance). Et bien remplissez d’eau ! Ces jarres de pierre vont servir de point de départ à la vie selon la grâce. Il nous faut les remplir « à ras bord ».

Et les serviteurs font ce qui leur est demandé.

Eux, ils ont des vraies jarres.

C’est par eux, après Marie, que les choses se font, que la Grâce continue à agir, à transformer l’eau en vin…Eux « savent » d’où vient le vin. Ils ont été à la tâche.

Leurs habits reprennent les mêmes couleurs que celles du marié et de la mariée, car leur charge est aussi une participation au « couronnement » du mariage. Ils ont l’air d’enfants, car ils sont devenus (ou en train de devenir) « enfants de Dieu. Privilège du serviteur.

Ensuite, ils puisent de l’eau et ils en portent, comme leur demande Jésus, au maître du repas. Qui est-il, celui là qui goûte et qui décide de la qualité du vin ?

Ordonnateur (pas très performant) du festin, il a la capacité, le rôle de discernement. On le sent très fortement lié à notre propre capacité de discernement, d’organisation (intérieure et extérieure).

Dans notre « repas de noces », pendant l’eucharistie, n’est ce pas le prêtre qui est chargé d’offrir notre eau pour qu’elle devienne vin ? Le prêtre est Il est le serviteur et le maître du repas.

Oui, l’époux, c’est le Christ. Et l’épouse ? C’est l’humanité. Chacun de nous. Et par le sacerdoce royal des fidèles, nous sommes aussi le « maître du repas », qui goûte le vin.

Et l’ami de l’époux ? Dont on ne parle pas (mais on en a parlé dans le chapitre qui précède, et il faut bien qu’il y ait des amis à une noce). C’est Jean Baptiste.

Celui qui dit :

« Qui a l’épouse est l’époux, mais l’ami de l’époux qui se tient là.et qui l’écoute éprouve une grande joie à entendre l’époux. Cette joie est la mienne et elle est complète ».

Jean Baptiste est juste en face de Marie, (sur la même ligne horizontale), reprenant la position qu’ils ont respectivement l’un et l’autre dans la « Déisis », l’intercession céleste.

Jésus bénit.

Il bénit : les mariés,

La table et ses convives,

La coupe du maître du repas,

Mais aussi les serviteurs, qui sont à ses pieds.

"Toi tu as gardé le bon vin jusqu'à présent"; le vin est le breuvage du banquet du Royaume. Cana se réalise autour d’une autre table, celle de l’eucharistie, où nous buvons le sang du Christ, pour notre salut. Prémices de la vie éternelle.

La coupe est centrale (comme l’est celle du sacrifice dans l’icône de la visite des trois anges à Abraham, qui montre la mystérieuse oblation de Dieu, dès avant la création du monde). C’est la coupe du sang de la Nouvelle Alliance. Les deux mains des mariés, sur la nappe blanche, montrent leur participation « au saint sacrifice de la messe ».

Chacun est invité à cette table.

La table peinte ici rappelle celle du Seder (la Pâque juive), mais il n’y a que trois pains, parce que j’ai voulu montrer leur « unité ». (trois et un sont très liés). (En fait, comme le dit l’Ecriture, il n’y a qu’un seul pain….)

Tout est compté dans l’Ecriture, et de même dans l’icône :

Il y a 8 personnages
10 « récipients » ( on compte la coupe sur la table, la coupe dans la main du prêtre ),
les deux jarres sur le dos des serviteurs,
et les 6 « jarres de pierre ».

La forme de l’icône elle-même est comme un dais nuptial au dessus des noces. Un arc, comme l’arc en ciel, qui nous fut donné comme signe d’Alliance entre le ciel et la terre.

Si les murs sont bleus, c’est parce qu’ils sont ceux du banquet final, celui des cieux. Et c’est l’amour assumé entre un homme et une femme qui nous introduit de manière royale dans cette Vie à venir.

On ne voit pas où commence ni où il finit Le voile rouge. J’ai voulu le faire assez « schématique », et « moderne ». Ce voile qui dévoile, sera-t-il encore là, lorsque tout sera accompli ?

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